Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

dimanche 3 mars 2013

"Il s'écoutait en boucle, ce type aux cheveux étrangement frisés". Jacques Damboise in "Pensées de rien".

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Pensées pour nous-mêmes:

(N'ATTENDS PAS DE LA PENSÉE
QU'ELLE TE FASSE FORCEMENT AGIR)

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Lettres d'Inconnus (16)
Pcc Benoît Barvin

Edward Robert Hughes 
"Vigilance de la Walkirie" Préraphaélisme

Monsieur,

   Je n'ignore pas tout ce que je vous dois. Tirée du ruisseau où ma Mère m'avait abandonnée, vagissante, dans une nudité grenouillante, vous me vîtes et me prîtes en tendresse pour m'offrir aux bons soins de votre propre nourrice, la Chère Martha. Je garde, de cette matrone, l'image d'un visage souriant, quoique gâté par une ancienne mais terrible vérole; des mains épaisses et rougeaudes qui, cependant, en se posant sur ma chair fragile, se faisaient aussi douces que des plumes de tourterelles. C'est Martha qui me veilla lorsque je faillis périr, quinze jours plus tard, d'une fièvre pernicieuse, certainement gobée dans l'immonde ruisseau fangeux où j'avais été laissée pour morte.

   Je me souviens également avec tendresse de Griffon, le Pinscher allemand, dont le noir pelage me subjugua très vite. Ce fut lui mon premier compagnon, lui qui me permit de sortir dans le grand jardin de la demeure que vous habitiez alors, sise tout près de Fontainebleau. Ayant hérité d'une Haute Charge pour la Maison du Roi, vous étiez peu présent et mes journées se déroulaient dans un environnement solitaire; or Griffon, bien sûr, et la chère Martha.

   Je ne sais si les années s'écoulent comme des minutes, ainsi que le clament les poètes. Toujours est-il que je n'ai souvenir, de cette petite enfance, que d'une mollesse délicate, d'instants fugaces au cours desquels vous me preniez sur vos genoux et me regardiez, avec une rare intensité, alors que tout près ronflait le feu, amical, dans l'immense cheminée. Avec Griffon à nos côtés... Le son de votre voix, je ne l'ai entendu - ou plus exactement saisi - que vers les huit ans, le jour exact de mon anniversaire. 

   Martha m'avait levée à l'heure habituelle, mais j'eus droit cette fois à un bain délassant, à un corps oint d'huile essentielle, à l'absorption d'un étrange breuvage qui me tourna légèrement la tête. Je me sentais légère, je riais sottement, je me sentais emplie d'une nouvelle espérance... La journée se déroula comme coulent les rêves, avec une nonchalance délicieuse et je me crus aux portes du Paradis dont votre confesseur, l'Abbé de la Sainte Affliction, avait commencé à m'entretenir, jugeant que je pouvais entendre les propos du Livre Sacré.

   Des invités de mon âge avaient été réunis dans l'immense salle à manger de la demeure. Je les connaissais de vue ou pour les avoir côtoyés, parfois, lors de mes rares sorties, chaperonnées par l'Abbé et Martha. La fête d'anniversaire eut des allures de féerie. A huit ans, les nombreux chandeliers qui illuminent, d'une lueur vive - quasi sauvage - le regard brillant des garçonnets, leurs gestes malhabiles, alors que résonnent leurs rires déjà mâles à cet âge, tout prend des dimensions quasi mythiques...

   L'Abbé et Martha, accompagnés d'une dizaine de valets, veillaient sur nous et nos jeux. Certes au début, mes compagnons n'osaient s'approcher de moi. N'étais-je pas la seule fille de l'assemblée? Mais, peu à peu, encouragés par mes agaceries, ils se mêlèrent en une joyeuse bande, à la fois amicale, déférente et un rien ribaude... Puis, sur le coup des six heures du soir, vous apparûtes, Monsieur, dans votre Majesté. Impressionnés, les jeunes invités s'inclinèrent devant vous. Je crus voir faiblir les lumières des lustres à votre entrée.

   Votre voix résonna alors, à la fois impressionnante et caressante, digne de celle d'un Dieu de l'Antiquité dont l'Abbé m'avait parlé, sur le ton de la confidence. Vous vous arrêtâtes devant un dénommé Michel, fils d'un charpentier du coin, dont j'avais déjà remarqué la blondeur féminine et le regard délavé et fragile. Vous me demandâtes s'il ne serait pas temps de congédier toute cette "marmaille" et de garder ce nouveau compagnon...

   J’acquiesçai, évidemment - n'étiez-vous pas le Maître et mon Bienfaiteur? Les heures suivantes resteront à jamais inscrites dans ma mémoire, Monsieur, comme au fer rouge. Nous étions désormais seuls, Michel et moi, en votre compagnie. Nous fîmes bombance - du moins mon nouveau compagnon, poussé à cela par Martha qui remplissait  son assiette et son verre. 

   C'est au travers des brumes de la fatigue que me parviennent quelques images dont j'ai longtemps eu peine à découvrir le sens. Michel dont la tête roule sur la table... Michel porté par vous, Monsieur, dans une pièce jusque là inconnue, pièce sinistre, je crois... Des tréteaux, des instruments féroces encagés contre des murs dégoulinant de salpêtre... L'Abbé, revêtu d'une robe de bure d'un noir féroce... Martha qui, délicatement, dénude le pauvre Michel...

   "Vous êtes à l'âge où votre état se révèle, me dîtes-vous, Monsieur, d'une voix lente et terrible. Votre appétit va prendre une tournure des plus complexes, raison pour laquelle vous allez devoir dissimuler au Monde votre vraie nature. Chaque fois qu'il le faudra, l'Abbé et Martha vous apporteront un de ces nouveaux plats que vous pourrez déguster comme bon vous semblera... Jusqu'au jour où, parvenue à l'âge de me succéder, cela sera mon tour de vous servir de substantifique plat..."

   Le souvenir est là, Monsieur, rien n'est omis, tout est inscrit au plus profond de mon âme. Votre missive, hier soir, où n'étaient inscrits que ces seuls mots "Il est temps", m'ont, vous le pensez bien, empêché de trouver le sommeil. Mais je ne faillirai pas à mon Destin. Je suis prête. Prête à vous rendre ce que je vous dois... avant de former, à mon tour, un nouveau disciple. 

   Mon ventre crie famine. Mes dents sont celles d'un loup terrible et sanguinaire. La pleine Lune... Je n'attends plus qu'Elle pour accomplir le rite...

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(Déjà, en 1950, les Françaises ne fichaient rien...)

Jardin des Tuileries Paris 1956 
Photo: Anonymous 

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(Les petites pieuvres ne sont pas sérieuses...
et leur papa est très patient)



(kogumarecordから)

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(La femme nouvellement voilée
s'emmêlait un peu les pinceaux...)


(元記事: thejadis (konishirokuから))

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"Entre moi et DRD2, c'est fini... Sob...
La vie ne vaut pas la peine d'être vécue..."



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Jacques Damboise

2 commentaires:

Castor tillon a dit…

"Lettres d'inconnus 16" :
Miam. C'est un plat très délicatement servi, ça, Benoît.

(LA PENSÉE QUI FERA AGIR UN FAINÉANT COMME MOI N'EST PAS ENCORE SEMÉE.)

Benoît Barvin, Blanche Baptiste, Luc Desle, Jacques Damboise, Nadine Estrella a dit…

J'aime beaucoup votre pensée, cher Castor. Quant au plat "délicatement servi", je vous en réserve une bonne part, d'accord?