Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

lundi 13 octobre 2014

"Il vendait aux bédouins des articles de bains pour leur remonter le moral". Jacques Damboise in "Pensées de l'à-peu près".

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Pensées pour nous-mêmes:

(NE CHOISIS PAS TOUJOURS
DES CHEMINS DE TRAVERSE)

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"Non, pas touche, sous prétexte
qu'il est différent!"


(Cette attitude généreuse était étonnante de la part
de ces singes cannibales)

Silver Leaf Langurs (by San Diego Zoo Global)

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"Jamais, même sur mon lit de mort,
je ne lui dirai que je l'ai espionnée"


   (...) Les Petit Poucet d'aujourd'hui peuvent jeter leurs cailloux dans le fossé, ils n'en ont plus besoin. Aucun risque de se perdre, encore moins de goûter à l'école buissonnière. Ils ont désormais un fil numérique à la patte.

   Enfants, sachez-le, Big Mother vous regarde ! De leurs ordis, de leurs tablettes ou de leurs portables, les parents 2.0 peuvent surveiller les moindres déplacements de leurs chers rejetons. Et ils sont de plus en plus nombreux à ne pas s'en priver. (...)

   (...) Il leur suffit d'avoir doté leur précieuse progéniture de GPS portatifs comme Ma P'tite Balise ou T'es où. Des boîtiers de la taille d'une clé de voiture qui cartonnent, surtout depuis cette rentrée ; la marque de vêtements Gemo vient même de commercialiser des manteaux avec traceur GPS intégré, pour plus de commodité.

   Ils peuvent aussi installer une application comme Jelocalise ou iChaper sur le téléphone de leur enfant. Chaper ? Le diminutif de "chaperon", dans une version un poil modernisée mais néanmoins bigrement efficace. Ces mouchards géolocalisent leur cible et envoient, par exemple, une alerte lorsque l'écolier pénètre dans l'enceinte scolaire. Ils peuvent aussi délimiter un périmètre autorisé et, idem, déclencher un signal si l'enfant en sort. C'est le geofencing ou "gardiennage virtuel".

   "Au boulot, j'ai l'emploi du temps de ma grande qui est en sixième", raconte Laëtitia, assistante de gestion de 33 ans. Quand elle est censée être à la maison, je regarde vite fait si elle 'balise' bien. Si elle doit rentrer à 18 heures et qu'elle est en retard, je consulte mon portable et, si elle est juste au coin de la rue, je ne panique pas", poursuit Laëticia. C'est ainsi qu'Allison, 12 ans, ne parcourt jamais sans son GPS au fond de sa poche les 300 mètres qui séparent sa classe de CM2 de La Poste, où son papa lui donne rendez-vous après l'école. (...)

   (...) Ces nouveaux espions numériques pullulent, qui les bipent, les fliquent et leur prendraient bien la température. En fait, cette dernière option existe... Aux Etats-Unis, un bracelet électronique appelé Sproutling peut être placé sur la cheville de bébé. Ce gadget sert à prendre ses constantes, de sa température à son rythme cardiaque, et détecte même ses mouvements. Un attirail digne d'un épisode d'"Urgences", service néonatologie.Bientôt, la marque coréenne LG va également lancer un bracelet connecté.

   La marque Kurio vient, elle, de commercialiser un portable "spécial enfants" doté de toutes ces fonctions de traçage aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. La France est à l'étude.

   Aline, 30 ans (1), a quant à elle opté pour une caméra infrarouge afin de superviser le sommeil de Céleste, 3 ans. Un cran au-dessus du simple Babyphone, l'appareil braque son oeil sur la petite en mode surveillance. La finaude faisait souvent mine de dormir, désormais sa mère la chope. "Quand je travaille, parfois j'ouvre une fenêtre avec l'image transmise par la caméra sur mon fond d'écran, explique la jeune maman. Je l'utiliserai jusqu'à ses 6-7 ans, après je lui laisserai son intimité".

   Ces cordons ombilicaux high-tech laissent pourtant les pédopsychiatres pantois. "Cette hyperattention empêche l'enfant de grandir", estime Michael Stora, psychanalyste à l'Observatoire des Mondes numériques en Sciences humaines. "Les périodes d'absence du parent permettent au bébé de s'autonomiser en développant sa pensée.Si, à cause de ces objets, sa maman vient trop vite quand il pleure, elle ne lui laisse pas le temps de vivre l'expérience du manque et, ainsi, de s'individualiser", ajoute-il.(...)

   (...) Pour les parents inquiets, ces veilleurs numériques les inciteraient au contraire à donner plus de liberté à leur enfant. "S'ils n'avaient pas le GPS, je ne les laisserais pas rentrer à la maison à pied à midi, ils iraient à la cantine", explique Grégory, opérateur logistique et papa de Jules et Rose, 9 et 8 ans. Les géniteurs n'ont qu'une peur : la mauvaise rencontre. Ils vantent le bouton SOS sur lequel leur enfant peut appuyer en cas de danger immédiat.

   "Ca rassure ma mère, elle est un peu mère poule. Je pourrais me faire agresser ou me faire enlever", détaille Manon, 16 ans, qui a un portable doté d'une appli de géolocalisation, au grand étonnement de ses camarades. La confiance règne... " Mon fils de 5 ans le réclame pour sortir", raconte Max, qui commercialise le GPS T'es où. "Cela peut faire peur à l'enfant et l'inhiber", déplore la psychanalyste Claudia Fliess, auteur de "Toutes les mères sont folles" (2). Il faut qu'il apprenne qu'il est capable de se défendre par lui-même." (...)

   (...) "Paris n'est pas Bagdad !", renchérit Eric Heilmann, sociologue spécialiste de la surveillance."Et les enfants ne sont pas des objets que l'on peut tracer comme des marchandises qui sont déplacées de port en port."

   A quand le drone-chaperon ? "Ces objets induisent un paradoxe. Les parents disent à leur enfant : "Je te fais confiance, mais parce que je te surveille", s'étonne Michael Stora. Et, bien que destinés à rassurer, ils créent de nouvelles angoisses. C'est vrai qu'une fois j'ai appelé ma femme car mon fils n'était pas à l'école, reconnaît Max. En fait, il était au sport."

   D'autant que le cheminement dans la journée, surtout pour un ado, est loin d'être rectiligne. C'est aussi une déambulation, avec ses rêveries et ses écarts contrôlés. "L'enfant connaît les limites, mais c'est grisant pour lui de les franchir. Faire un détour imprévu par la boulangerie avec un copain pour acheter des bonbons, c'est tout sauf nocif : ainsi commence l'autonomie", insiste Angélique Kosinski-Cimelière, psychologue pour enfants. S'il dit à ses parents qu'il est rentré directement, ils vont donc lui dire qu'il ment ?", poursuit-elle. (...)

   (...) En étalant en ligne les photos des virées entre copains, c'est Facebook qui a attisé la curiosité. 45% des parents français avaient, en 2012, reconnu s'être connectés au compte de leur enfant à son insu. Mon amie croyait sa fille en Seine-et-Marne, elle a vu sur Facebook qu'en fait elle s'éclatait à la Défense avec ses copines...", s'amuse Aurélie. L'idée que leurs digital natives aient accès à tout du fin fond de leur chambre donne le vertige aux parents. Il faut bien tenter de maîtriser ce tsunami. Certaines applications sont donc carrément invisibles. On peut violer incognito tout le contenu d'un smartphone.

   "En cinq minutes, commencez à espionner le téléphone portable de votre enfant. Recevez secrètement la copie de ses messages, appels, contacts, positions GPS, historique internet, conversations Facebook, Whatsapp, Viber et plus encore, à distance, sans être vu !", propose Mobipast. (...)

   (...) Le risque est grand de se perdre dans ce jeu de piste. Agnès, malgré les meilleures intentions du monde, l'a expérimenté. Déconcertée par la soudaine hostilité de son adolescente de 17 ans, cette illustratrice a cédé à la tentation il y a quelques mois. Elle était devenue imbuvable. "Un jour je lui ai pris son téléphone. J'ai tout lu et je suis tombée des nues."

   Marie prend des drogues. Cette nuit-là, avec son mari, Agnès décide d'installer une appli espionne sur le portable de Marie, qu'elle emmène par ailleurs chez un psy. Marie ignore qu'un mouchard niche désormais dans son smartphone et Agnès, qu'elle va faire une plongée en apnée dans la tête de son enfant. Dès le réveil, à la moindre minute libre, la maman inquiète se connecte pour voir si la demoiselle reste clean. Des heures à dévorer ses SMS, à s'abreuver de chacune de ses pensées. Une spirale infernale : "Partout, j'allumais mon portable pour ne pas perdre le fil. Je lisais je pleurais. Je suis rentrée dans sa tête. Ca vous fout en l'air. J'étais presque devenue elle."

   C'est sa soeur qui va lui imposer d'arrêter. En respirant un grand coup, la maman fusionnelle a fini par supprimer l'appli. Fin de partie. En deux secondes, elle était libérée. Et le cordon ombilical, enfin coupé. Jamais, même sur mon lit de mort, je ne lui dirai que je l'ai espionnée."

(1)Certains prénoms et certaines professions ont été changés.
(2)Editions du Moment, 2013.


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(L'Internationale fraternelle des caféiers
était émouvante)



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Luc Desle

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