Bonjour à vous qui, dans le maelström du net, êtes arrivés, par hasard? lassitude? erreur? sur ce blog. Vous êtes les bienvenus. Vous y lirez des extraits d'articles, de pensées, d'interviews, piochés ça et là, et illustrés de photos et dessins détournés, via un humour de bon aloi. Vous pouvez évidemment réagir avec le même humour, la même ironie que nous mettons, chaque jour, à tenter de respirer un peu plus librement dans une société qui se corsète chaque fois un peu plus.

lundi 9 février 2015

"Il fumait des Gitanes sans filtre puisqu'elles n'en avaient pas". Jacques Damboise in "Evidences, vous avez dit évidences?".

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Pensées pour nous-mêmes:

(QUE LA MORT TE SOIT DOUCE
COMME LA PLUME SUR LA
CARESSE DU VENT)

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(Toutes les nuits, Mickey rêvait
qu'il était puni pour sa gourmandise)


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"Tu lis un livre de qui, mon Chéri?
- D'un certain Alexandre Dumas...
- Et c'est comment?
- Pas mal... Pas mal du tout..."



   Alexandre Dumas, né le 24 juillet 1802 et mort le 5 décembre 1870, est l’un des écrivains majeurs de la langue française, aux œuvres fameuses tels que Les Trois Mousquetaires, La Reine Margot ou Le Comte de Monte-Cristo. Auteur prolifique, populaire, figure de proue des Romantiques, le flambeau littéraire familial a été poursuivi par Alexandre Dumas fils qui écrivit notamment La Dame aux Camélias. 

   Quelques jours avant sa disparition, le fils rend un ultime hommage dans cette lettre à cette gloire de la littérature française. Témoignage poignant d’un fils au chevet de son père…
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"22 novembre 1870

   C'est moi qui ai reçu votre lettre et votre article, mon cher Asseline. Vous avez raison, les cerveaux comme celui-là ne tombent pas en enfance ; ils ne reviennent pas en arrière, ils vont en avant, et quand ils se taisent ou parlent un langage que l'on ne comprend plus, c'est qu'ils contemplent l'infini dont ils ont été une des molécules, pour ainsi dire, et qu'ils conversent avec lui. Pour un étranger, en effet, mon père, à un certain moment, eût pu paraître frappé de paralysie intellectuelle, mais non pour moi qui ai connu et suivi depuis vingt-cinq ans les habitudes de cette organisation exceptionnelle.

   J'ai vu aussi Mme Sand dans cet état. Elle s'endormait tout à coup pendant vingt heures, trente heures, se laissant tomber n'importe où elle se trouvait, rêvant tout haut, balbutiant des paroles incohérentes, n'ayant plus besoin de rien que de sommeil, mais d'un sommeil équivalant à la fatigue résultant d'un trop grand effort de l'esprit ; puis peu à peu elle rouvrait les yeux, elle ne se réveillait pas, ce n'est pas le mot, elle renaissait, elle refaisait connaissance avec les choses extérieures et marchait pendant deux ou trois jours dans son jardin, sans dire une parole, et comme à la recherche d'elle-même. Enfin elle se retrouvait ; et rentrée en possession de son individualité, elle la remettait dans son mouvement ordinaire.

   Dans le commencement de ces phénomènes bizarres, on croyait à une paralysie imminente, et l'on était tout étonné, après ces interruptions momentanées, de lui voir écrire Le Marquis de Villemer ou Mlle de la Quintinie, car il y a de cela dix ou douze ans. Ce sont tout bonnement les repos forcés de ces forçats volontaires. Ils se croyent [sic] invulnérables et la nature qui leur a permis quelques exceptions surhumaines, les rappelle cependant à la règle de temps en temps ; et pour qu'ils n'oublient pas qu'ils ne sont que des hommes, elle les réduit pendant quelques heures ou quelques mois à l'état d'animaux, c'est-à-dire au sommeil et à la vie purement végétative. Le bœuf fatigué, épuisé, se laisse tomber sur son sillon, procumbit humi bos - et il regarde autour de lui jusqu'à ce que les forces lui reviennent. C'est ce qui est arrivé à mon père. Un jour la plume lui est tombée des mains, et il s'est mis à dormir.

   Il venait de faire un voyage fatiguant et de se livrer à un travail excessif. Je l'ai amené chez moi à la campagne, au bord de la mer, et je lui ai collé la bouche au sein de cette grande nature qui avait tant fait pour lui et qui seule pouvait le refaire. Le contact a été rude, les secousses ont été inquiétantes. Elle résistait plus que lui ; enfin ils ont fini par se reconnaître, par s'entendre, par se sourire. Il lui a fait toutes ses excuses et toutes les promesses qu'elle exigeait, et elle lui a rendu en échange sinon toutes ses vigueurs d'autrefois, du moins sa bonne humeur, son esprit et sa sérénité des meilleurs temps. Seulement comme il n'a jamais su faire les choses à demi, il se trouve si bien de ce repos, de cette contemplation, de cette vie intime de la famille, harmonieuse et apaisante, qu'il n'avait jamais eu le temps même d'entrevoir, au milieu de ses immenses travaux, qu'il ne veut plus en sortir. Il jouit doucement de se sentir libéré, gracié. Tous les soucis, toutes les excitations, tous les énervements de sa vie fiévreuse sont le soleil et le grand air. Il s'y mêle quelquefois un peu trop de vent, mais il l'a toujours aimé, et comme il me le disait hier : « J'aime le vent parce qu'il m'empêche de penser. » L'appétit est bon et régulier, le sommeil devenu plus court est plus réparateur, mais, le soir venu, il s'y replonge avec délices. Supposez un homme prenant un bain à même les éléments, voilà son état.

   Je lui ai lu votre article en passant le commencement, parce que nous lui cachons toute allusion à la maladie dont on l'a accusé ; il en a été très touché et nous a entretenus de cette époque de sa vie comme il l'eût fait il y a dix ans. Quand pour conclure, je lui ai dit : « Eh bien, veux-tu te remettre à travailler ? », il m'a répondu en secouant la tête avec ce sourire que vous lui connaissez : « Il n'y a pas de danger qu'on m'y reprenne, je suis trop bien comme ça. » Il a ajouté : « Dis à Asseline que si jamais je reprends la plume, ce sera pour lui écrire, mais qu'il n'y compte pas trop. » Sur quoi il s'est remis à jouer aux dominos avec mes enfants qu'il adore. Il en a pris son parti, il est retiré. Il n'aspire plus qu'au repos. Il l'a bien gagné, entre nous […].

   J'ai résolu, grâce à cette raison dont vous voulez bien faire le contre-poids de mon cœur, de ne pas entretenir le public de mon père. On ne sait jamais, quand on est le fils d'un pareil homme, comment il faut parler de lui en public. On est toujours dans le trop ou dans le trop peu. Ces choses-là regardent les amis, l'histoire et la postérité. Les enfants ne doivent intervenir que pour remercier les sympathies et rectifier les erreurs. Je n'ai que l'une des deux choses à faire avec vous, la première ; et je la fais de toute la force de nos bons souvenirs et de notre vieille amitié.

   A. Dumas fils.

   Puys, 23 novembre 1870."


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Benoît Barvin

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